
Chères marraines et chers parrains
22 novembre 2019, je commence l’écriture de ce bulletin en Éthiopie juste après avoir rencontré pour la dernière fois de ce voyage les jeunes du centre.
L’Éthiopie est encore sous tension. Le fait que son premier ministre, Abyi Ahmed ait été récompensé par le prix Nobel de la paix, a exacerbé les tensions dans le pays, la perspective des prochaines élections également. Les tensions sont politiques, ethniques et religieuses, les choses sont difficilement compréhensibles même par les éthiopiens eux-mêmes.
Le centre de Burayu est en territoire Oromo. Les Oromo sont l’ethnie la plus nombreuse en Éthiopie. Celle-ci revendique une représentation plus forte au sein du gouvernement et elle est particulièrement active dans la ville de Burayu où se situe notre centre. Récemment, un emballement de la situation y a fait 26 morts dans les rues. Cette tension ethnique est très difficile à gérer pour nos jeunes qui sont placés en familles d’accueil car une grande partie de nos enfants vient d’autres régions d’Éthiopie et ne parle pas l’oromia. Il est ainsi facile de les distinguer. Ils tentent donc de s’adapter en apprenant la langue ou en participant eux-mêmes aux manifestations pour se noyer dans la masse des opposants. Pendant ces moments de trouble, nous sommes inquiets et incapables d’y faire quoique ce soit.
« Cette tension qui revient dans tous les échanges avec les jeunes a beaucoup influé sur leurs comportements, les résultats scolaires des garçons se sont dégradés et certains sont devenus violents»
Faute d’avoir les financements nécessaires, nous avons dû cette année fermer l’orphelinat de Gelan, situé au sud d’Addis. Il accueillait encore une centaine d’enfants. Nos moyens nous ont permis d’en transférer 19 à Burayu. Une douzaine d’enfants ont été adoptés localement et une dizaine ont été placés dans leur famille éloignée que nous avons pu retrouver. D’autres ont été placés grâce à l’aide du gouvernement dans diverses institutions. C’est une épreuve supplémentaire pour ces enfants qui n’avaient pas besoin de ça. De plus, parmi les 19 que nous avons pu accueillir à Burayu, 17 sont séropositifs….
Cette fermeture a été très pénible pour nous. C’est la première fois que nous n’avons pas su assumer la garde des enfants qui nous ont été confiés. C’est tout autant énergivore de fermer un orphelinat que de l’ouvrir et nous y avons perdu plus de 35 000€. C’était la seule solution pour sauver le reste de l’ONG.
« Notre prochain challenge sera de permettre aux 57 jeunes séropositifs que compte maintenant le centre de Burayu de s’épanouir en leur apportant l’aide spécifique nécessaire »
Actuellement, nous n’avons pas les compétences en interne pour y parvenir et nous pensons nous tourner vers l’extérieur. Des ONG spécialisées sont présentes à Addis et le ministère des enfants nous donnera les lettres de recommandation nécessaires pour qu’elles acceptent la prise en charge de ces jeunes sous forme d’actions de formations et d’aides psychologiques. Nous avons déjà des contacts avec AHOPE Ethiopia.
Cette année encore, l’euro est resté fort par rapport au Birr éthiopien. Hier, un euro valait 33.25 birrs. Cela nous a bien aidé à gérer les dépenses imprévues sur place même si cela sous-entend une forte inflation dans le pays.
Les enfants venus de Gelan se sont bien adaptés à Burayu et relativement vite. C’est curieux de voir de nouveau des enfants si jeunes dans nos murs. Il a fallu réorganiser les dortoirs et les équipes, renforcer un peu le staff des baby sitters et des cuisinières.
Quelques chiffres pour vous donner l’ampleur du projet que vous aidez :
Au total 242 enfants (151 garçons et 91 filles)
Dans l’orphelinat : 100 enfants dont 10 enfants à particularités (4 malentendants, 4 ayant un retard de développement intellectuel, un handicapé physique et une handicapée mentale). 9 d’entre eux sont scolarisés dans des institutions spécialisées. 30 enfants sont séropositifs.
A l’extérieur de l’orphelinat : 142 enfants dont 66 en familles d’accueil, 36 dans des maisons louées au plus près des écoles, 27 jeunes séropositifs dans des maisons louées à Burayu et 13 placés avec leur famille proche à proximité du centre.
Cette année, 25 jeunes sont sortis de la structure avec un emploi en poche et nous avons malheureusement eu un décès.
Comme à chaque fois, je vous renouvelle nos remerciements pour votre présence à nos côtés. Alors que nous vivons en France cette grande migration venue d’Afrique, notre action en Éthiopie pour que tous ces jeunes y trouvent leur place a encore plus de sens.
Je vous souhaite une agréable lecture, amicalement,
Jean François GILLET



Le soir de notre deuxième jour … dans le centre, j’entends du bruit dans la salle commune. Ce sont des chants religieux rythmés au son de gros tambours. Nous rentrons et découvrons les jeunes réunis pour fêter la Saint Michael, un des protecteurs de l’Éthiopie. Tous sont là ou presque et reprennent en cœur des chants en frappant dans les mains.

Nous vivons un moment fort et émouvant, satisfaits aussi de rendre tout ceci possible. Vous pourrez en vivre un petit moment en vidéo sur le site des Amis du Toukoul.

Abraham Bogale est un médecin âgé de 28 ans …
Il a grandi au Toukoul puis à Burayu, et a brillamment réussi ses études de médecine. Il y a un an, il a décidé de créer un programme d’éducation thérapeutique afin d’aider les adolescents séropositifs au sein de l’orphelinat de Burayu. Abraham se sent très investi car il considère ces adolescents comme ses frères et sœurs. Il a été lui aussi à leur place et comprend leurs craintes, leurs désirs, leur façon d’appréhender la vie.

Lors de notre entretien, il tient vraiment à me faire comprendre le mal être des enfants séropositifs.
Je le cite : « Quand on grandit dans une institution comme SOSEE, certains d’entre nous ont des stéréotypes concernant le fonctionnement de la société en dehors, certains développent même des comportements antisociaux, ils ont peur. Quand il est temps pour nous de quitter l’orphelinat et d’entrer en tant que membre actif dans la société éthiopienne, de vivre par nous-mêmes, cela peut être ressenti par certains comme un choc et ils peuvent avoir du mal à s’en sortir ».
De plus, à l’intérieur de l’orphelinat, les enfants ne ressentent pas les différences ethniques inhérentes à la société éthiopienne, mais une fois sortis de l’orphelinat ils y sont confrontés et c’est un facteur de stress supplémentaire pour eux.
Abraham a également constaté que les enfants sont très mal informés à propos de leur maladie. Beaucoup d’enfants séropositifs ne prennent pas leur traitement, et d’autres ne le prennent pas de façon régulière. Cela impacte négativement leur santé physique et par conséquent leur état mental. Leurs performances scolaires se dégradent. Ils développent des comportements apathiques voire des dépressions et abusent de drogues. C’est un cercle vicieux. Il a constaté chez certains enfants des dépressions sévères et a initié les traitements nécessaires. Cela est d’autant plus dommage que le nouveau traitement anti-VIH a l’avantage de ne nécessiter qu’une seule prise de médicaments par jour, et a nettement moins d’effets indésirables que l’ancien traitement. Néanmoins, il existe un risque de développement de résistances si le traitement n’est pas pris convenablement, d’où l’intérêt d’obtenir une observance optimale.
Abraham se rend à Burayu toutes les 2 semaines, le week-end (le samedi ou le dimanche), en fonction de son jour de repos. Il a décidé d’adopter une stratégie d’approche très progressive.
Au début du programme, il y avait 9 adolescents volontaires, et durant les premières semaines Abraham n’a pas évoqué le sujet de la maladie. Ensemble, ils ont parlé de tout et de rien, les enfants ont appris à devenir amis, la confiance s’est installée progressivement. Après quelques semaines, il a pu entrer dans le vif du sujet et les faire parler de leur maladie.
Les enfants sont inclus dans le programme à partir de 13 ans. Abraham considère que plus jeunes, ils manquent de maturité pour aborder certains sujets (comme celui des relations sexuelles).
Il s’est aussi rendu compte que les enfants ont beaucoup de fausses croyances à propos de leur maladie : « Le SIDA est une punition de Dieu, rien ne sert de prendre le traitement, il faut boire de l’eau bénie pour guérir ». Suite à ce constat, il a invité un prêtre (lui aussi ancien enfant du Toukoul), pour déconstruire tous ces préjugés. Il leur a montré que dans la Bible, rien ne prouve que le VIH ait un rapport avec la religion, ce n’est pas aller contre la volonté de Dieu que de prendre le traitement.
Abraham a déjà abordé différents sujets : comment se transmet le VIH, comment le prévenir, quelles sont ses conséquences, pourquoi est-il crucial de prendre le traitement convenablement… Il leur apprend des techniques d’expression et de communication, via des jeux de rôles, afin d’éviter la stigmatisation liée à leur maladie.
Pour vous donner une idée, voilà le déroulement typique d’une séance :
– 20 min : Débriefing de la semaine qui vient de se dérouler, comment vont les jeunes, ont-ils rencontré des difficultés, que ce soit à propos de la maladie ou d’un autre sujet…
– 15 min : un volontaire a préparé un exposé sous la forme d’un poème, une chanson …
– 20 min : Abraham fait une présentation sur un thème spécifique : santé, psychologie, vie sociale…
– 30 min : discussion de groupe à propos du sujet abordé par Abraham, les jeunes posent leurs questions. Abraham est là pour faciliter la discussion, corriger les mauvaises informations.
– 15 min : goûter, moment de détente
– 10 min : jeu pour se remémorer les informations qui viennent d’être données, vérifier que les messages sont bien passés
– 10 min : Choisir le thème de la prochaine session
– Puis, pendant 30 à 60 min, Abraham reste dans la salle pour recevoir les jeunes qui le souhaitent de façon individuelle.

Il organise également des sorties en dehors de l’orphelinat afin de leur changer les idées. Pour le moment, les jeunes sont allés dans un « parc d’attractions à l’éthiopienne » : cinéma 3D, jeux d’arcade …
Le programme compte désormais 24 adolescents. Il aimerait par la suite convier des invités à témoigner lors de séances de discussions (personnalités « importantes » pour les jeunes, personnes atteintes du VIH).
Nous constatons d’ores et déjà une amélioration de l’observance depuis le début du programme. On pourra en mesurer l’impact tous les 6 mois, lors des check-up biannuels des adolescents séropositifs.
Son objectif sur le long terme est de former les adolescents à aider leur prochain, que les adolescents d’aujourd’hui prennent son relais pour les adolescents de demain.
Selon Abraham …
« WHEN YOU FEEL HELPLESS, HELP SOMEONE ELSE ».
(si tu te sens démuni, aide quelqu’un d’autre)

De passage à Burayu, un membre des Enfants Avant Tout a proposé aux jeunes de s’approprier les espaces libres.

Ils ont planté des fleurs et des légumes (choux, bettes, épices pour le café, etc) et ont construit des bancs en rondins de bois. A cette occasion ces terrains inutilisés ont été nettoyés et défrichés.

Rencontre avec des enfants transférés récemment de Gelan à Burayu


Tarik est une jeune fille de 11 ans, qui a été admise à Gelan en 2012. Elle est originaire de Debre Markos, dans la région Amhara. Sa maman est décédée, son père est inconnu, et personne ne pouvait s’occuper d’elle dans sa région d’origine. Elle est malheureusement séropositive. Elle a maintenant repris l’école à la Kale Elementary School, à Burayu. Elle aime l’éducation civique et les sciences sociales, et voudrait devenir avocate. C’est une petite fille adorable, joyeuse et sociable. Elle aime jouer avec ses copines, dessiner, sauter à la corde et jouer à cache-cache.

Adonay a presque 6 ans. Elle est originaire de la région Oromo. Elle a été abandonnée lorsque sa mère a été hospitalisée pour de graves problèmes de santé, et son père est inconnu. Comme pour Tarik, il n’y avait personne d’autre pour s’occuper d’elle dans sa région d’origine. Elle est elle aussi atteinte du VIH, mais est en bon état général. Elle vient de commencer sa scolarité à l’école élémentaire Tase Home. Elle passe beaucoup de temps à jouer à l’extérieur avec ses amies, sauter à la corde, jouer au volley. Elle aime aussi jouer de la musique et chanter.

Kuleshi est âgée de 10 ans. Elle a été admise à Gelan avec sa grande sœur Selam, en 2012. Elles sont originaires de la région Oromo, et leurs parents sont décédés. Kuleshi est, elle aussi, atteinte du SIDA. Elle est en bonne santé malgré sa séropositivité. Sur le plan scolaire, elle adore les mathématiques et voudrait devenir dessinatrice. Elle aime passer du temps avec ses camarades, sauter à la corde et jouer à cache-cache.

Ermias a 9 ans, il est né à Méki, en région Oromo. Il habitait avec sa mère. Nous n’avons aucune information concernant son père. Sa mère vit toujours dans la campagne près de Méki mais elle est trop pauvre pour s’occuper de lui. Ermias est sourd. Malgré son handicap, il est sociable et joyeux, il s’est très bien acclimaté à son nouvel environnement. Il n’a pas pu aller à l’école jusqu’à maintenant du fait de sa surdité, mais entrera dès que possible dans une école adaptée. Il aime jouer au foot avec ses camarades, et à différents jeux d’extérieur.

Bitiya a 7 ans, il est né en territoire Oromo, où il habitait avec sa maman. Sa mère l’a violenté et elle a été emprisonnée. Il est atteint de surdité mais tout comme Ermias, cela ne l’empêche pas d’avoir beaucoup d’amis et de s’adapter facilement à l’orphelinat de Burayu. Il vient de commencer l’école primaire à la Tase Home Elementary School. Il passe le plus clair de son temps à jouer au football avec ses camarades.